Quel sectaire, ce PANASSIÉ ! C’est pas comme les autres !
EPISODE 1 : FRANCK NEWTON
Dans « Le Point du Jazz » N°18 de novembre 1982 paraissait un article de Bernard Niquet sur le trompettiste Franck Newton. En 1995 était publiée une réédition en CD de Jimmie Lunceford chez Masters of Jazz avec un livret signé de l’excellent Claude Carrière dans le volume 5 de la série. Ces deux textes sont très représentatifs de l’acharnement de bien des critiques, médias de toutes sortes et ignorants divers, de propager l’idée que Panassié était un sectaire impossible et mieux encore, si possible, de l’évincer des mémoires. C’était l’homme à abattre et pour cela tous les coups étaient permis. Jugez plutôt.
Voici le premier texte qui laisse entendre que Panassié désigne Franck Newton comme « coupable » (c’est le mot employé par Bernard Niquet, pas par Panassié). Coupable de quoi, d’ailleurs, on ne sait trop. De ce qui précède ou de ce qui suit dans le texte ? Peu importe. L’essentiel est de glisser la peau de banane.
« Vivait aux USA il y a une quarantaine d’années, un robuste garçon qui jouait de la trompette dans un style coulant, mélodieux et coloré et qui faisait la joie de ses collègues en raison des harmonies « avancées » qu’il affectionnait. Vint de France un gros critique dont l’un des premiers soucis fut d’enregistrer ce trompette avec un entourage un peu hétéroclite … Le coupable avait nom Franck Newton. Les disques furent dénigrés par l’intelligentsia jazziste de l’époque, et comme ils étaient sortis sous le nom de Newton, c’est celui qui fut voué aux gémonies. Or le dit critique avait confié le recrutement des musiciens à son grand ami Milton « Mezz » Mezzrow qui porte la responsabilité ……….. ».
Bernard Niquet
(Je tiens la longue suite de l’article à votre disposition, mais vous avez déjà compris ce qu’il fallait comprendre).
Premier point : le gros critique n’avait pas pour « premiers soucis » d’enregistrer ces disques comme inspiré par une lubie soudaine, puisqu’il était là précisément avec mission de réaliser ces disques pour la jeune marque « SWING » dont il avait l’aval juridique et financier. Et vous aurez remarqué l’élégance de la formule « gros » et sa parfaite adéquation avec les exigences de la critique musicale. Oublions tout de suite l’hypocrisie de ne pas désigner les gens par leur nom. En plus Hugues n’était pas gros à l’époque mais un élégant jeune homme bien proportionné ; il suffit de voir les photos prises alors, notamment celle archi-connue prise en studio avec James P. Johnson, Zutty, Mezz, et Tommy Ladnier.
Eh bien voici 3 textes du « gros critique », non pas écrits en 1982 comme l’article de Bernard Niquet mais en 1938 (44 ans avant, une paille ! ), en 1968 14 ans avant et en 1972, soit encore 10 ans avant.
- 1938 ; extrait d’une lettre du « gros critique » à Salvador Nepus. ( un ami d’origine russe, harmoniciste et resté à Paris où Hugues le tenait au courant de son séjour à New York qui nous valut le livre d’Hugues « Cinq mois à New York » ) :
« Le meilleur trompette entendu jusqu’à présent est de beaucoup Franck Newton qui a une magnifique sonorité large, ample, puissante, en fait la plus belle que je connaisse en dehors de Louis (Armstrong) ».
- 1968 ; Chronique parue dans le Bulletin du HCF N°17
« Mais c’est surtout Franck Newton qui m’a surpris dans le chorus de »Who » et dans les 3 chorus de « Sunrise » ( le premier avec sourdine, les deux autres sans), il me touche aujourd’hui plus qu’il ne l’avait jamais fait. J’en conclus que pour faire la critique d’un disque, c’est un inconvénient d’avoir supervisé son enregistrement : on se reproche ensuite les imperfections qui, semble-t-il, auraient pu être évitées et on ne l’écoute pas avec la sérénité voulue. Avec un recul de 30 ans, j’entends ces Franck Newton d’une oreille décontractée et c’est probablement pourquoi j’y prends plus de plaisir car ils sont vraiment bons. »
- 1972 ; Parachevons ces exemples avec un extrait de la chronique du disque « Mezzrow-Newton-The Big Apple » Bulletin du HCF décembre 1972, 10 ans encore avant l’article de Bernard Niquet :
« Vient ensuite Franck Newton qui joue un de ses meilleurs solos enregistrés dans « Mutiny in the parlor » et mène avec lyrisme la belle improvisation collective par laquelle s’ouvre « Melody from the sky ». Mezz n’est pas aussi heureux que dans les séances de 1934 et 1937 » .
Vous croyez vraiment qu’il n’aimait pas Franck Newton, le gros critique ?
Que serait-ce s’il l’avait aimé !
Notez aussi qu’Hugues n’est pas aveuglé, comme on le prétend, par son amitié pour Mezz, et sait émettre les restrictions voulues à son égard, même s’il évoque l’emploi d’une mauvaise anche pour atténuer la rigueur du propos.
Cher Bernard Niquet, Hugues ne cherchait pas de « querelles d’allemands » à Franck Newton, mais vous faites partie de cette génération qui a été élevée, jazzistiquement, par quelques uns de ses ainés dans la haine, le mot n’est pas excessif, d’Hugues Panassié née de leur jalousie plus que de quelques traits de caractère, comportements, travers et croyances d’Hugues que tout le monde connaissait bien, sans avoir pour autant envie de l’écarteler en place de Grève.
Toute une génération a été convaincue de sa partialité alors qu’il était tout simplement ferme sur des opinions fondées sur sa riche expérience, le contact et l’amitié des musiciens noirs que personne n’avait comme lui. Dans mon petit secteur d’amateurs, je suis entouré de gens qui « n’aiment pas Panassié » sans avoir jamais lu une ligne de ses livres, ou de ses chroniques de « Jazz-Hot », de « La Revue du Jazz » ou du « Bulletin du HC ». C’est en toute ignorance qu’ils ne l’aiment pas, puisqu’on leur a dit que c’était un type impossible. Aujourd’hui, on parlerait de « bien-pensance » ou de « politiquement correct ».
On pourra faire remarquer qu‘ Hugues exprime, dans « Quand Mezzrow enregistre » chapitre 5, qu’il avait eu quelques réticences à prendre Franck Newton en partie sans doute en raison d’un style « nouveau » ou « moderne » qu’il appréciait dans d’autres contextes (voir lettre à Salvador Nepus) mais qui en ces circonstances précises s’accordait moins stylistiquement avec le reste de la formation. Il le dit clairement et avait contacté notamment Jonah Jones et Rex Stewart pas libres, renonçant à Tommy Ladnier et Sidney De Paris trop récemment utilisés et tous en effet préférables à Franck Newton dans une telle formation. Franck, en outre, semble ne pas avoir été dans sa meilleure forme ce jour-là….comme Mezz dans la séance « Big Apple », mais pour ce dernier, on n’entend personne protester ! Le plus drôle, c’est que Bernard Niquet parle lui même à ce propos de l’ « entourage un peu hétéroclite », déjà signalé plus haut dans le texte cité.
Alors essayer de nous faire croire qu’Hugues était passé complètement à côté du talent de Franck Newton, c’est sciemment tromper son monde.
EPISODE 2 : JIMMIE LUNCEFORD
L’exemple suivant est tout aussi démonstratif, mais fait plus dans l’omission que dans la suggestion.
Tout le monde sait que Jimmie Lunceford a dédicacé « Le Jazz-Hot » enregistré en 1939 à Hugues Panassié et plus précisément au livre d’Hugues paru en 1934 sous ce titre et qui faisait encore fureur. En plus, c’est écrit en toutes lettres sur l’étiquette du 78t. : « Dedicated to Hugh Panassié » y compris l’orthographe américaine du prénom Hugh ! On se demande bien pourquoi Lunceford se serait donné la peine d’intituler ainsi le morceau avec l’article français « Le », au lieu de l’anglais « The », si ce n’était dans l’intention évidente de rendre hommage au livre et à son auteur !
Eh bien voici malgré tout ce que vous pouvez lire dans le livret qui accompagne la réédition du morceau dans le CD vol 5 de « Masters of Jazz » :
« Le Jazz Hot », hommage aux amateurs français et à la revue du même nom qui avait déjà quatre années d ‘existence, donne sur un tempo un peu plus enlevé, la même impression de lévitation. Points forts, les solos de Sy Oilver et de Joe Thomas, portés par des riffs d’autant plus efficaces qu’ils ont une simplicité biblique. Notez en point de suspension le clin d’œil du piano à un vieux cliché de « jazz vraiment hot » !
C’est tout. Pas la moindre mention du nom d’Hugues Panassié.
Et reposons une deuxième fois la question : Pourquoi Lunceford se serait-il donné la peine d’intituler le morceau « Le Jazz Hot » si cela avait été pour rendre hommage à la revue citée, puisque celle-ci s’appelle « Jazz-Hot » et non « Le Jazz Hot ». Imaginez un jeune amateur devant ce tour de passe-passe ! Qui lui révélera ces contre-vérités ? Comment peut-on s’autoriser à leurrer le public à ce point ? C’est à peine croyable ! On a bien sûr la réponse : occulter Panassié à tout prix.
Pour finir d’enfoncer le clou, voici l’anecdote finale : Le 26 décembre 38, les orchestres de Duke Ellington et de Jimmie Lunceford jouent en alternance au cours d’une « Battle » célèbre restée dans l’histoire à l’ « Athletic Club » de Philadelphie, échangeant à cette occasion quelques pièces de leurs répertoires respectifs. Lunceford lui-même avait emmené Hugues dans le « bus » de l’orchestre pour ce déplacement depuis New York. Duke Ellington informé de la présence d’Hugues dans la salle, fait jouer « Le Jazz Hot » par son propre orchestre en son honneur.
On peut même ajouter que Duke avait prévu de son côté d’enregistrer ce titre en hommage à Hugues et à son livre et donc tout naturellement choisi le même titre que Lunceford ! Pataquès ! Les managers de Brunswick tentèrent bien de faire renoncer Lunceford, mais celui-ci tint bon et le morceau de DUKE sortit sous le nom de « Battle of Swing ».
Deux chefs de l’envergure de Duke et Lunceford se disputant l’honneur de lui rendre hommage, c’est plus que ce que les adversaires d’Hugues ne peuvent supporter ! Donc, silence !
L’affaire archi-connue est bien rapportée dans le livre d’Eddie Dittermayer « Rhythm is our business » (Histoire de l’orchestre Lunceford, fort bien documentée. Le titre est également celui d’un célèbre enregistrement de l’orchestre) page 154 avec même le compte-rendu qu’Hugues fit de cette soirée mémorable !!!!! Est-ce que ça suffit comme ça ? Non ? Page 156 du même ouvrage : « …. Le Jazz Hot a tribute to fan Hugues Panassié and his publication of the same name. »
Oh, oui ! Ce qu’Hugues appelait « le barrage » et qui l’a, entre autres, évincé des indispensables radios, oui, ce barrage a bien fonctionné aux mains de beaucoup.
Littéralement, on l’a baillonné. Et tous ceux que son immense stature gênait ont sciemment désinformé leurs contemporains et les générations suivantes d’amateurs et critiques sincères et extrêmement compétents comme les rédacteurs des textes que je cite. Comment en sont-ils arrivés là ? On se le demanderait si l’on ne voyait quotidiennement des errances semblables en tous domaines et les dogmatismes prendre le pas sur la vérité.
Essayons de refouler tout ça au loin et de ne retenir que ces deux adages chers à Hugues Panassié exprimant bien pour Duke et Lunceford que sans swing il n’est pas de jazz.
Dans une chronique d'un LP de Jimmy Smith (N° 179 du Bulletin du HCF, page 28), on peut lire ceci:
"Détail curieux: dans Cherry, Jimmy Smith joue le pont non pas de Cherry mais de Coquette. Vous savez peut-être que Coquette a été copié (avec quelques modifications) sur Cherry (composition de Don Redman) au point que les Mc Kinney's Cotton Pickers (dirigés à l'époque par Don Redman) l'appelèrent "Little Crookette" ("Petite Voleuse"). Ce n'était pas sans raison, puisque Jimmy Smith a mélangé les deux morceaux".
Je serais curieux qu'on me dise quel autre chroniqueur que Panassié avait ce contact intime avec le jazz et ses musiciens au point de connaître et rapporter une anecdote aussi savoureuse.
Je me demande aussi combien de ces chroniqueurs qui, lui devant tout n'ont jamais fait que l'accabler, ont eu l'oreille assez vigilante pour relever cet échange de pont !
" Imparable", comme dit un de mes très bons amis.
Pierre CHRISTOPHE
La Charente-Maritime et la ville du Château d’Oléron nous ont offert un splendide concert ce jeudi 10 Août dans le cadre de « Sites en Scène » :
Dominique MAGLOIRE accompagnée du Septet de Michel Pastre.
Honneur aux dames, parlons d’abord de Dominique. Elle possède 2 ou 3 qualités qui nous font remonter aux heureux temps où il n’y avait pas d’équivoque quand on avait dit « JAZZ ». A savoir, dans le désordre :
Dans tout cela, je n’ai guère retrouvé de trace de Billie Holiday (pour qui Dominique a une grande admiration), sauf peut-être pour une certaine forme de « feeling ». Je vais me faire incendier si je dis que j’ai plutôt trouvé une fraicheur façon toute jeune ELLA, tant pis, c’est dit. Mais en fait, on serait bien embarassé d’établir une ressemblance avec une quelconque des grandes « anciennes ». Sa personnalité se suffit à elle-même.
Ajoutons son jeu de scène, qui n’est pas fait de chi-chis archi usés mais d’une intense participation au jeu des instrumentistes dont elle suit et accompagne le discours mélodique avec à propos et fougue, une gestuelle « parlante » et dansante.
Le tout bien sûr avec ce swing « sans lequel ça ne veut rien dire » selon l’heureuse formule du DUKE.
Je me rappelle avoir apprécié ce type de qualités chez Angela Brown, ce qui est bien sûr très différent de l’immense talent d’une Catherine Russell, pour citer une chanteuse que tout le monde a vue ou au moins entendue dans un passé tout récent.
Le choix de son répertoire nous plonge dans la thématique la plus classique de « Fine and mellow » à « They can’t take that away from me » et tant d’autres.
Quant à l’orchestre, il a littéralement pété le feu et la symbiose entre lui et la chanteuse était impressionnant. Michel Pastre, au mieux de sa forme comme François Biensan et Patrick Bacqueville nous ont offert des prestations du plus haut niveau tant sur le blues que sur les standards et la rythmique , Pierre Christophe, Enzo Mucci, Pierre Maingourd et François Laudet a « swingué » les souffleurs comme ……… j’allais dire rarement. Non, comme toujours ! Mais ce soir-là, avec une particulière intensité.
Nous avions nous mêmes fait venir cette formation à Saint-Pierre d’Oléron en Octobre dernier, et elle avait impressionné les membres de notre municipalité au point qu’ils conçurent de la faire revenir dès cet été !
J’ai ressorti la chronique d’André Vasset (BHCF 646 Décembre 2015) sur le CD produit sous le nom de Dominique Magloire : Vous feriez bien de la relire vous aussi, d’écouter le CD et de courir aux concerts de cette formation.
Ah, oui ! Une superbe soirée.
Pour continuer la série des textes de « blues » ou « songs » de ce répertoire, je vous propose aujourd’hui celui-ci intensément dramatique qui fut chanté initialement par BESSIE SMITH et plus tard par DINAH WASHINGTON (photo).
Deux choses concourent à sa puissance poétique :
D’abord le texte lui-même avec sa crudité et cette imploration répétée du « Send me to the ‘lectic chair ».
Et ensuite, l’interprétation sobre et grave chez BESSIE, et au contraire intensément extériorisée, charnellement vécue chez DINAH.
Vous trouverez ces deux superbes interprétations sur des sites genre YouTube (Pour les avoir directement cliquez sur : Dinah Washington ou Bessie Smith)
SEND ME TO THE 'LECTRIC CHAIR
Judge you wanna hear my plea, before you open up your court
But I don't want no sympathy, 'cause I done cut my good man's throat
I caught him with a trifling Jane, I warned him 'bout before
I had my knife and went insane, and the rest you ought to know
Judge, judge, please mister judge, send me to the 'lectric chair
Judge, judge, good mister judge, let me go away from here
I wanna take a journey, to the devil down below
I done killed my man, I wanna reap just what I sow
Oh judge, judge, lordy lordy judge, send me to the 'lectric chair
Judge, judge, hear me judge, send me to the 'lectric chair
I love him so dear, I cut him with my Barlow*, I kicked him in the side
I stood here laughing o'r him, while he wallowed around and died
Oh judge, judge, lordy judge, send me to the 'lectric chair
Judge, judge, sweet mister judge, send me to the 'lectric chair
Judge, judge, good kind judge, burn me 'cause I don't care
I don't want no one good mayor, to go my bail
I don't want to spend no, ninety-nine years in jail
So judge, judge, good kind judge, send me to the 'lectric chair
Monsieur le juge, il faut que vous écoutiez ma supplique avant d’ouvrir la séance de la cour.
Mais je ne veux aucune indulgence pour avoir tranché la gorge à mon bonhomme.
Je l’ai trouvé avec cette allumeuse de Jane et je l’avais prévenu, j’avais mon couteau sur moi et j’ai perdu la tête.
Et vous connaissez la suite.
Juge, juge, s’il vous plait monsieur le juge, envoyez moi à la chaise électrique,
Juge, juge, mon bon M. le juge, laissez moi quitter cet endroit,
Je veux me payer un voyage, chez le diable, là-dessous tout au fond.
J’ai tué mon homme, je dois récolter ce que j’ai semé.
Oh juge, juge, puissant juge, envoyez moi à la chaise électrique
Juge, juge écoutez-moi, envoyez moi à la chaise électrique.
Je l’aimais tant, je l’ai entaillé avec mon Barlow*, je lui ai mis des coups de pied dans les côtes et je suis resté à rigoler à le voir tituber et mourir.
Oh ! Juge, juge, tout puissant juge, envoyez-moi à la chaise électrique.
Juge, juge, juge si doux, envoyez-moi à la chaise électrique.
Juge, juge, bon et gentil juge, envoyez-moi à la chaise électrique. Faîtes-moi griller, je m’en fiche.
Je ne veux personne pour payer ma caution.
Je ne veux pas passer 99 ans en taule.
Alors juge, envoyez-moi à la chaise électrique.
* NB : « Barlow », James Barlow pour être précis, était une marque, et est toujours, une marque de rasoirs droits entre autres.
Oublions cette tragédie. Voici une autre histoire. La victime est encore une fois un homme, mais sur un ton humoristique, ce sont cette fois, la bière et les dollars que la dame fait couler, pas le sang !
Hommes et femmes ont un très fort penchant réciproque dans cette communauté, et leurs relations revêtent tous les aspects possibles : ici le drame, là l’humour . Mais ce peuvent être les talents et prouesses amoureuses exprimées d’ailleurs par des sous-entendus, par un double langage, crû mais jamais vulgaire.
Exemple de titres évocateurs : « King Size Papa » ou « My Handy Man ». Parfois c’est plus subtil et les images érotiques sont transférées à une autre sphère d’activité : « My kitchen Man ». De la cuisine à ce que vous devinez. Il suffit de lire entre les lignes. Et d’ailleurs je les publierai un jour ici : ils vous amuseront.
Mais le blues et les songs afro-américains , c’est surtout, le sociétal, la misère, l’injustice, les désastres personnels ou collectifs : « John Henry », par ex. évoquant les terribles inondations du Mississipi en 1892. Celui-ci trouvera aussi sa place dans cette rubrique.
La liste est longue, très longue des textes que j’ai à vous proposer et amusons nous un instant avec celui-ci, chanté et joué par MEMPHIS SLIM (écoutez).
BEER DRINKIN’ WOMAN
The story's true ladies and gentlemen
All the names have been changed to
Protect the innocent
The year nineteen hundred and forty
The city, Chicago the place, Rubin's Tavern
The story goes something like this
I walked into a beer tavern
To give a girl a nice time
I had forty-five dollars when I enter
When I left I had one dime
Wasn't she a beer drinkin' woman?
Don't ya know, man don't ya know?
She was a beer-drinkin' woman
And I don't want to see her no more
Now, when I spend down to my last dime
She said, darlin' I know you're not through
I said, yes, baby doll
And the trophy belongs to you
Wasn't she a beer drinkin' woman?
Don't you know, man don't you know?
She was a beer-drinkin' woman
And I don't wanna see her no more
Now she'd often say, excuse me a minute
I've got to step around here
And every time she came back
She had room for another quart of béer
Wasn't that a beer drinkin' woman?
Don't ya know, man, don't ya know?
She was a beer drinkin' woman
And I don't want to see her no mo’
Messieurs dames, cette histoire est authentique.
Tous les noms ont été changés pour préserver l’anonymat.
L’année : 1940
Le lieu : La taverne de Rubin à Chicago
Ça se déroule à peu près comme ça :
Je me rends dans une brasserie
Pour prendre un peu de bon temps avec une fille.
J’avais 45 dollars en poche en entrant,
mais tout juste 10 cents en partant.
Est-ce que ça n’était pas une buveuse de bière, ça ?
Ne le sais tu pas, mec, ne le sais tu pas ?
Oh ! Si ! C’était une buveuse de bière
Et je ne veux plus la voir
Quand j’eus dépensé jusqu’à mon dernier dime
Elle me dit « Cheri, je sais q’t’ es pas au bout, t’en as encore »
« Oui mon bébé, je lui réponds,
Et c’est toi qui vas empoter le trophée »
Quelle buveuse de bière !
Qu’est-ce que t’en penses, frère, qu’est-ce que t’en penses ?
Ah oui ! Une buveuse de bière,
Et je ne veux plus en entendre parler .
Souvent elle me disait « Excuse-moi une minute
Faut que j’aille faire un tour par là »
Et chaque fois qu’elle revenait,
Elle avait fait la place pour une autre pinte de bière
C’était pas une buveuse de bière, ça ?
Dis, qu’en pense-tu ?
Oh oui ! C’était une buveuse de bière
Et je ne veux plus jamais la voir
Les Bluesmen noirs de Louisiane, du Mississipi, de l’Arkansas et autres Etats réputés pour leur tolérance ont écrit des textes d’une saveur, d’une poésie d’une authenticité jamais récompensés par un prix quelconque fut-il infiniment moins réputé que le Nobel.
Eh ! C’est que pour reconnaître leur valeur, il faut d’abord les connaître, s’intéresser au quotidien de pauvres musiciens sortis tout illettrés de leur glèbe avec seulement leur talent pour chanter leurs misères, leurs amours déçus, l’absence d’embauche pour cause de couleur ou au contraire la longueur des jours au travail dans les champs de coton. Et aussi le quotidien le plus prosaïque, le fait-divers tout bête qui s’est produit dans le voisinage : maison incendiée, crime sordide, perte de la mule qui labourait votre lopin de terre, vol d’une poule ou d’un cochon. Ou portrait savoureux du tricheur, du prédicateur lubrique, du "medecine-man" hâbleur.
Tout cela sans jérémiades et même avec humour, avec un sens de l’auto-dérision inimitable derrière lequel nous pouvons essayer d’imaginer qu’un peu d’espoir se cache. Avec souvent une dernière strophe qui repeint le drame en cocasse pour le rendre supportable. On est loin de la bien-pensance, du politiquement correct, loin des textes convenus encensés par les Bobo de l’Intelligentsia soucieux de se fabriquer une image de « belle âme ».
Pour rendre hommage à ces chanteurs-poètes inconnus, je vous proposerai de temps à autre quelques unes de leurs créations autrement plus vivantes et vécues.
Un autre jour, je vous proposerai un autre type de Blues, celui des Bluesmen et plus encore des Blueswomen, des grands centres urbains comme Chicago. Là, les préoccupations sont tout autres et tiennent presque exclusivement aux relations sexuelles entre exploiteurs plus ou moins proxénètes et leurs dulcinées exploitées. Avec un mélange de bonheur et de souffrance, du sang parfois, des larmes souvent.
Imaginez un bluesman itinérant, un samedi soir, où il aura à faire danser la communauté noire de la bourgade, dans une grange au seul son de sa guitare et de son chant, 100, 200, 500 personnes ; c’est souvent comme ça que cela se passait. Il a eu vent d’un événement survenu récemment dans la bourgade. Le soir, il aura eu le temps de composer les paroles relatant et commentant l’événement. Pour les « Street Evangelisers », c’était identique : A un coin de rue ils s’installaient avec leur sébile, leur chien d’aveugle, leur guitare et leurs grosses lunettes noires, et c’était parti pour une relation d’un fait et son commentaire assorti d’une morale.
Bien sûr, tous avaient aussi un répertoire de chansons, hymnes, spiritruals et blues. On pouvait même éventuellement passer du scabreux au sacré, mais en général, on chantait soit la musique du Diable, le blues profane et parfois olé-olé, soit la musique du « Good Lord ».
« Lord, i’m a poor boy and a long way from home, And i ain’t gonna be treated this away.
I’m broke and I ain’t got a dime Ev’ry good man gets in hard luck sometime.
I’m a good old boy, just ain’t treated right, Freezin ground was my folding bed last night.
Make me a pallet on your floor So your good man will never know » |
Seigneur, j’suis un pauvre gars et bien loin de chez moi, Et je vais pas être traité comme ça.
J’suis fauché et j’ai même pas une pièce de dix. Tout brave type connaît un jour la misère.
J’suis un bon brave gars sauf qu’on me traite pas bien Le sol gelé a été mon lit la nuit dernière.
Fais moi une paillasse sur ton plancher, Comme ça ton brave homme connaitra plus jamais ça. |
Ce vieux blues, un des plus anciens, poignant dans sa simplicité, est l’ humble expression de tous ceux qui avaient été abimés par la pauvreté, la solitude de l’orphelin, l’absence d’un foyer, la justice de Jim Crow*, les femmes qui les avaient mal traités. Son House, Blind Lemmon Jefferson, Robert Johnson sont de ceux-là.
D’autres ont connu des conditions moins dramatiques, recueillis par des grand’parents compatissants, soutenus par l’affection d’une femme (ou plusieurs femme successives !), et leurs blues ont un goût un peu moins brutal tout en restant amer, avec très fréquemment une dose d’humour réconfortante, Big Bill Broonzy, par exemple :
This little song that i’m singing about People you know is true If you’re black and go to work for a living This is what they will say to you. If you’s Brown, stick around But as you’re Black, Mmm Mmm Brother, git back, git back, git back. They was all having fun They was all buying béer and Wine But they would’nt sell me none
They said if you’re white………..
They said if you’s white, ‘ll be allright If you’s Brown, stick around But if you’re black Mmm, Mmm Brother, git back, git back, git back
Me and a man were working side This is what it meant They was paying him a dollar an hour And they was paying me fifty cents.
I went to an employement office Got a number and i got in line They called everybody’s number But they never did call mine
Yhey say If you’s white……………….
I helped win sweet victory With my little plough and hoe Now I want you to tell me, Brother What you gonna do ‘bout the Old Jim Crow
Now if you’s white…………..
I helped build the country And i fought for it too Now I guess you can see What a black man has to do |
La petite chanson que je vous chante, Vous savez qu’elle est vraie bonnes gens Si vous êtes noir et cherchez un boulot pour vivre Voilà ce qu’ils vous diront
Refrain : Ils disent, si t’es blanc, ça va Si t’es brun, attends par là Mais comme t’es noir, Mmm Mmm, vieux frère, tu peux te tirer
J’étais quelque part, un soir Ils prenaient tous du bon temps Ils achetaient tous de la bière et du vin Mais à moi , ils n’en ont pas vendu
Un blanc et moi on travaillait côte à côte, Et qu’est-ce que ça veut dire On lui donnait un dollar de l’heure Et à moi cinquante cents
Je suis allé au bureau de placement J’ai pris mon numéro et ma place dans la file Ils ont appelé tous les numéros Mais le mien, ils ne l’ont jamais appelé
J’ai aidé à la victoire Avec ma petite charrue et ma houe Alors maintenant, vieux frère, je voudrais que tu me dises Ce que tu comptes faire du vieux Jim Crow.
J’ai aidé à construire cette nation Et je me suis battu pour elle. Tu vois maintenant, je devine, Ce que peut faire un homme noir. |
* Le terme « Jim Crow » (ou les lois Jim Crow) représente l’ensemble des mesures et dispositions ségrégationnistes et également la mentalité et les mœurs sociétales d’où résultent ces mesures.
NB : Grâce à internet ( You Tube, par ex. ) il vous sera facile d’écouter ce blues de Big Bill Broonzy
(1893-1958), et bien d’autres, intitulé « Black Brown & White » et qu’il enregistra pour la 1ère fois à Paris en 1956. Sa voix superbe, son jeu de guitare sèche qui ne l’est pas moins sont des sommets du vieux blues rural. Précipitez-vous sur tous les enregistrements de ce grand musicien, poète et grand swingman en prime.
BLUES ET CONTEXTE SOCIAL
Jacques Morgantini écoutait en 1950 avec Big Bill Broonzy des disques de ce dernier et à l’époque il ne connaissait pas ses accompagnateurs. Il lui demande :
" Ce pianiste est très bon qui est-ce ?
- Memphis Slim " lui répond Big Bill.
" C’était la première fois que j’entendais ce nom" commente Jacques Morgantini. Puis écoutant un autre disque Jacques dit à Big Bill :
"Celui-là est bon aussi mais il n’arrache pas les tripes comme Memphis, c’est joli, mais c’est moins prenant".
- Oui, mais chez lui, on mangeait bien", commente Big Bill. "C’est Blind John Davis" ajoute Big Bill.
Cette anecdote rejoint la réflexion de John Lee Hooker à qui ce même Jacques Morgantini faisait remarquer que tel disque était gâché par la médiocrité de ses accompagnateurs anglais et qu’il ne devrait pas enregistrer avec des gens de si faible niveau : " Oui en effet, ils ne sont pas bons, mais le pain, lui, il est bon ".
Ou encore Muddy Waters à qui quelqu’un s’était laissé aller à dire qu’il ne trouvait pas dans ses enregistrements récents la flamme de ses débuts. Muddy sortit une poignée de billets de sa poche : " C’est à cause de ça ".
JAZZ A LA CITADELLE
Quartet Patrick Bacqueville
19 MARS 21H CITADELLE DU CHATEAU D’OLERON
« Quand un souffleur, anche ou cuivre, projette de tenir en haleine son public toute une soirée, seulement soutenu par sa rythmique, si bonne soit- elle, il faut qu’il soit bon. Très bon. Le pianiste, lui, a tout un orchestre au bout des doigts. Mais un trom- bonne?
C’est ce qui vous attend avec Patrick Bacqueville Samedi 19 Mars en soirée dans la toute nouvelle et superbe salle du Château d’Oléron : Deux heures de beau trombone à la fois charnu et délié, parlant. Car cet instrument est capable plus que tout autre de « raconter », de se faire rugueux ou tendre, intime ou déclamatoire, dramatique ou cocasse. Et Patrick Bacqueville excelle à ces jeux tout autant qu’ à émouvoir sur le blues ou faire chanter une belle mélodie
En plus Patrick renouvelle largement la formule du « Scat » (souvent encombrée de poncifs), par son humour, ses originalités sonores et son swing.
Ce sera le premier concert de Jazz dans cette magnifique salle de la Citadelle inaugurée à la fin de l’an dernier. Et quelle acoustique !
C’est une rythmique de grande classe qui entoure Patrick Bacqueville : Pierre Maingourd qui m’évoque à chaque rencontre les sonorités et la finesse des grands bassistes ellingtoniens; Stéphane Roger royal derrière ses tambours; et un pianiste, que je ne connaissais pas, Patrice Authier, fournissant au soliste un parfait soutien ou prenant de jolis solos.
Autant de bonnes raisons de retenir rapidement vos places dans les Offices de tourisme, sur le net ou directement au Hot-Club Marennes-Oléron 05 46 76 06 09.
Tarif ; 19€ Prévente : 16€ demandeur d’emploi : 12€
Avec la participation de la Région, du département de Charente Maritime et de la ville du Château d’Oléron
Venez tous
TOMMY LADNIER ET LE BLUES
En 1938, Hugues Panassié était à N.Y. où il enregistrait ses célèbres sessions.
Exprimant à Tommy Ladnier à quel point il admirait sa façon de jouer le Blues, il eut la surprise le lendemain de voir arriver le grand trompettiste avec un disque de Kokomo Arnold, ( vieux chanteur et guitariste de blues des premières générations ) : " Chain Gang Blues", et le lui offrir avec ce commentaire : " Le Blues, eux, (sous-entendu, les bluesmen ruraux ) savaient de quoi il s’agissait ; nous on ne sait rien ".
Pourtant, Dieu sait si Tommy savait de quoi il parlait et on ne peut qu’admirer à la fois la connaissance qu’il avait d’une musique à la quelle il n‘était guère prêté d’attention à l’époque et aussi sa modestie vis à vis des anciens ! Cette anecdote nous a été rapportée à Claude Bisseriex et à moi-même par Jacques Morgantini.
Ce dernier demanda un jour à Hugues , sans doute vers la fin des années 40 ou au tout début des 50, où était ce disque, mais Hugues ne put le retrouver et, à l’époque, ne portait pas encore une attention aussi profonde que par la suite à cette musique, débordé, il est vrai, en ces heureux temps, par la surabondance de la production jazzistique.
Personne ne mentionne jamais Anat Cohen.
J'avais été impressionné il y a quelques années en l'entendant par hasard ( sur Mezzo, peut-être ) puis je l'avais oubliée. Ici, c'est la meilleure; il y a une logique et une clarté dans son jeu avec des enchaînements qui font un tout homogène et pourtant semé d'inattendus, de surprises, voire de traits d'humour. Et elle swingue. Tout au plus eut-on lui rerprocher d'en faire beaucoup pour son souffle parfois amené au bout de ses réserves
Elle a aussi un beau son de clarinette, absolument pas criard ni aigre, mais bien plein et bien ferme. Cela dit, je l'ai écoutée sur d'autres plages où elle sort du cadre que nous aimons, mais elle reste intéressante et, quand elle joue "Jazz", elle est si créative qu'elle fait des choses qui ne permettent guère de la rattacher à tel ou tel ancien avec l'ensemble des quels elle garde pourtant un lien évident.
Quant à Ken Pepelowski, il n'est pas dans un de ses meilleurs jours. Des traits sans vraiment de construction, des bribes ne constituant jamais un discours structuré. Il cherche plus le "brillant" que la musique. (On lui aurait donné une poinçonneuse à la place d'une clarinette, il aurait fait un malheur à la RATP, mais là, je m'en veux d'être un peu méchant). Pour le son, ce n'est pas mieux; on dirait un prostatique jouissant de soulager sa vessie par la sonde urinaire salvatrice ( C'est encore plus méchant, mais on est entre nous). C'est Benny Goodman en pire. Comment peut-on le mettre au niveau des deux autres !
Evan est bon, certes, mais il parait un peu en dessous de son niveau habituel, ce qui est faux ; je crois qu'il est surtout mal placé par rapport au micro et que son 1er chorus tout en douceur passe mal cette barrière. Il est le seul des 3 chez qui on sente vraiment la parenté avec la clarinette Nouvelle-Orléans. Il est un peu réduit à ce cadre ce qui permet à Anat de paraître et même d'être plus libre et créative.
Deux mots sur les autres :
- Howard Alden, guitare, se montre toujours aussi capable mais sans être renversant.
- D' Ehud Asherie on peut dire que ce style lui convient mieux que le stride où il fait souvent preuve d'une certaine raideur ( Catherine Bazin a renoncé à le faire venir; trop cher. C'est dire qu'il est coté! ça vaudrait le coup de l'entendre en direct).
- Quant au bassiste et au batteur, leurs noms ne sont même pas cités, comme si la rythmique était secondaire en jazz dont, pourtant, elle est le coeur. Ce n'est pas qu'ils soient remarquables l'un et l'autre, mais les passer sous silence, c'est révélateur.
Voir Vidéo "Swing that music"